La nouvelle du mois

 

Un dernier sourire pour le diable

 

La porte était ouverte, comme le serait l'entrée d'un nouveau monde. D'ici, enseveli par les ténèbres, j'observais son feu qui en émanait faiblement. Et dans mon cœur, celui-ci brûlait déjà. Comme une invite faite de chaînes et crocs. Comme un appel provenant directement de mon intérieur. Je devenais son obligé, une âme harponnée à son dévouement, à son amour.

Mes pas furent brefs et silencieux, comme ils en avaient toujours eut l'habitude. La demeure, celle du diable m'avait on dit, parût s'élargir, se dociliser devant ma progression furtive. Sous mes pieds, les fougères ne luttèrent pas, ni même les branches asséchées. La forêt elle même semblait vouloir me voir disparaître derrière ce feu.

Il ne me fallut qu'un instant pour tenir ma traversé en respect, pour que les hostilités sauvages ne se tiennent derrière moi. Je faisais maintenant face à l'entrebâillement, sous couvert de quelques pieds seulement. Mon corps ressentait une envie irrépressible d'abandon, de relâchement, et surtout, d'action. J'étais tel un parjure devant son bourreau désarmé, nourri par la haine dévorante de sa vengeance immédiate.

Ma main se rapprocha sans que mon cerveau ne le réclame. Et comme pris de torpeur, certainement fourni par un reliquat de mon instinct de survie, je me surpris à hurler ma terreur. Mon esprit me jouait des tours, des tours qui voulaient m'envoyer à ma perte. Mes sens se mirent à l'affût, au paroxysme de leurs capacités. Et c'est alors que je la vis.

Caroline. 

Mon cœur ne tonna plus entre mes os. Ici, sous la fine lueur qui flambait au dedans du manoir, se dessinait les contours de mon amour. Ceux de ma femme perdue, il y a maintenant tant d'années.

Mes yeux se mirent à fuire, abondamment, comme des gouttes sur un vitrail. Ma main continua sa course, guidée par l'entièreté de mon être. 

Caroline, mon amour, c'est bien toi. Murmurais-je à la silhouette qui s'affublait du plus beau sourire que ma femme détenait. Bien-sûr que non, mais il était trop tard pour moi. 

Le cœur en berne, mes pas suivirent bientôt ma main, comme prient au piège dans une nasse de sentiments. 

Tel un papillon de nuit devant une flamme de cierge, je voguais vers ma perte. Mais que peut-elle bien être si d'aventure je la retrouve ? Si je nous retrouve ? Si je la rejoins enfin ?

Si le diable existe bien, il mérite qu'on s'y attarde. Voilà ma dernière pensée avant que sa porte ne se referme sur moi. Et moi je m'y amenais le visage en sourire.